Association Montpelliéraine pour un Judaïsme Humaniste et Laïque

L’Amjhl est attachée aux principes humanistes de la Déclaration des Droits de l’Homme et aux valeurs républicaines, à une conception de la citoyenneté fondée sur le respect de la personne humaine, la participation à la vie de la cité, la tolérance et le pluralisme. Nous nous référons à la laïcité constitutionnelle française qui garantit l’indépendance des institutions par rapport aux pouvoirs religieux – à commencer par l’école. Pour nous, le judaïsme est une culture – porteuse d’une histoire, de valeurs et de diversité – dont la religion a été le ciment pendant des siècles. L’ Amjhl est ouverte à toute personne, juive ou non, qui adhère à cette brève présentation et à ses statuts.



Le Seder de Moissac, 23 mars 1941

Seder à Moissac, 23 Mars 1941

Prenez connaissance du texte de la Hagadah lue à Moissac aux cinq-cent enfants juifs qui y étaient cachés par les Eclaireurs israélites de France. Nous en avons transcrit l’original sous word pour en faciliter la lecture.

 Mais nous avons sauvegardé la version retrouvée et fournie par notre ami Henri Jouf, dans sa présentation originelle; ci-joint la première page de ce document.

  1. Transcription, ( C-D Daubigny)

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Scoutisme français, Eclaireurs israélites de France, Centre de documentation.

Le 23 mars 1941,

PESSAH

Cheftaines et chefs, 

Ce 11 avril au soir, dans chaque foyer juif où il y a une éclaireuse ou une P. A, un éclaireur ou un louveteau, sera célébré un Seder …, du moins je l’espère. Et l’espère aussi que vous saurez expliquer à vos jeunes toute la beauté de ces rites et les intéresser suffisamment pour que cette cérémonie soit pour eux autre chose qu’une soirée où il faut attendre que les prières interminables soient finies avant de pouvoir manger toutes les bonnes choses qu’on a vues préparer. 

Voici quelques notes que Samy et Wallach ont bien voulu faire pour vous et qui doivent vous aider dans cette tâche,  

Bonne fête.

LE SEDER

Ceci se passait en Egypte, il y a 31 siècles, sous le règne du Pharaon Toumesis III.

Vers trois heures de l’après midi en ce jour de printemps, tous les esclaves hébreux quittaient leur travail, contrairement à toutes les habitudes et malgré les menaces des surveillants Egyptiens. Le service d’ordre était débordé :  sur les chantiers, les truelles des maçons étaient abandonnées, devant les forteresses en construction de Pitom et de Ramses, les contre-maîtres cherchaient en vain, qui les charpentiers, qui les porteurs d’eau ou les briquetiers. Etait-ce la révolte ? Non, car les Hébreux rentraient tranquillement chez eux, et là, se livraient à de mystérieuses occupations : chaque chef de famille immolait un agneau et teignait de sang les linteaux des portes d’entrée.  Décidément, les policiers chargés d’enquêter n’y comprenaient strictement rien ! 

C’était le 14 Nissam de l’année 2532, et les Hébreux s’apprêtaient à célébrer le premier Seder. Dans la soirée, les Egyptiens curieux pouvaient voir dans chaque cabane la famille réunie autour de la table en train de manger un agneau. Mais, chose étonnante, chacun était en tenue de départ, la ceinture bouclée, et la canne à la main, cependant qu’à l’étable les ânes et les chameaux étaient tout sellés, et que dans les coins de la maison étaient entassés les sacs et les balluchons. Les enfants, à moitié endormis, ne tarissaient pas de questions auxquelles les parents répondaient par des airs mystérieux. ..

Et quelques heures plus tard, sur la piste qui menait vers la Mer, une immense file d’hommes, femmes et enfants, avec armes et bagages quitte le pays d’esclavage en chantant et va au- devant de la Liberté. 

Mais la liberté ne vint pas et c’est pourquoi chaque année, dans le désert, les Hébreux se sont réunis le soir de la Nissan, pour manger l’agneau qui leur rappelait le premier pas vers la Liberté, et les Herbes Amères, symbole de l’esclavage égyptien, et les Matsoth, ce pain 

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  de voyage qu’ils n’avaient pas eu le temps de faire lever, tant les Egyptiens étaient pressés de les voir partir. Pendant 40 ans les Hébreux du Désert ont ainsi, à chaque anniversaire de Pessa’h, exprimé l’espoir de voir enfin une vraie liberté.  Cette année nous sommes encore des esclaves, mais l’an prochain nous serons des Hommes Libres ». 

Enfin ils passèrent le Jourdain : était-ce la délivrance ? Hélas ! Le royaume ne tarda pas à être déchiré par des luttes intestines, et les Juifs continuèrent à faire le seder, tant pour se rappeler et apprendre à leurs enfants les tristes années de l’Egypte, que pour exprimer l’espoirs de lendemains meilleurs, sinon dans le domaine matériel, du moins dans le domaine moral et spirituel. Puis le Temple fut détruit et vint l’exil. Depuis ce moment, le Seder a une signification de plus : nous voici de nouveau dans une situation analogue à celle de nos ancêtres d’Egypte, mais nous en réchapperons aussi », semble dire le père de famille aux enfants qui l’interrogent. Cependant, le temps aidant, depuis 2000 ans que nous sommes consécutivement en exil, cette expectative de la liberté devient théorique. On se dit plutôt : « puisque nous sommes voués à un exil si long, ne nous occupons pas de l’avenir et goûtons pleinement la liberté qui nous est accordée pendant ces deux soirées de Pessa’h ( car maintenant nous avons besoin de 2 jours de Sedèr, pour commémorer un évènement qui s’harmonise si bien avec notre situation) .Aussi , que ce fut à Rome ou au temps des persécutions, ou en Espagne à l’époque de  l’Inquisition, ou dans les Ghettos du Moyen Âge , qui étaient  presque régulièrement assaillis pendant la semaine de Pâques , ou encore au milieu des massacres de l’Europe orientale, toujours le soir du Sedèr on se sentait  libre, dégagé des circonstances que l’on vivait. 

  Le chef de famille se calait confortablement dans son fauteuil rembourré de coussins, se faisait servir sans se déranger de table, comme un vrai potentat, pour bien montrer que , ce soir-là, il était son maître, aussi libre que son ancêtre quand il sortit de l’Egypte. ..
Je voudrais que cette année il en soit de même. Mais ne vous cantonnez pas dans le présent : songez qu’un espoir nous anime, espoir dans la liberté totale. Et , quand nous disons à la fin du Sedèr, « L’An prochain à Jérusalem », ce ne doit pas être dit du bout des lèvres, comme l’expression d’un rite, mais bien comme une réelle pensée.

Nous aurons alors pleinement réalisé l’esprit du Seder qui se résume dans cette phrase : « cette année nous sommes encore des esclaves, mais l’an prochain nous serons des Hommes Libres ».

Samy

LE SYMBOLE DE PESSA’H

Pessa’h n’est pas seulement la commémoration de la sortie d’Egypte, mais aussi – nous dit la Thora – la Fête du Printemps, renouveau de la nature, renouveau de la Vie. 

Et en effet, dans l’histoire d’Israël, Pessa’h marque une renaissance : ce peuple n’avait pas de loi, presque pas d’unité ; depuis Abraham, sa force morale était pour ainsi dire inexistante. Alors Dieu vint choisir les Hébreux parmi les nations, « comme un jeune homme choisit sa fiancée ». D’après le Midrash, Pessa’h symbolise de la sorte les accordailles de Dieu avec Israël. Comme deux futurs époux, chacun se fiait à l’autre. Les Hébreux demandaient protection à Dieu demandait 

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aux Hébreux de se reposer sur Lui du soin de les guider. Deux forces totalement différentes .. une Puissance Divine et une Puissance Terrestre allaient commencer une histoire commune, fait unique dans l’histoire du Monde. Et c’est sans doute pour symboliser cette union qu’à partir de la première Pâques, deux nuées accompagnèrent constamment les hébreux dans leurs déplacements pour les diriger et les protéger. Et c’est aussi parce que Pessa’h fut un commencement pour Israël que le mois de Nissann, le mois de Pessaa’h « est le premier mois de l’année ». .

Dieu tint sa promesse : il fit échapper les Hébreux aux armes égyptiennes, il conduisit Son Peuple à travers les mille dangers et privations du Désert. Israël aussi, dans les premiers temps, fut fidèle à la parole donnée. Comme une fiancée impatiente, il comptait les jours pour arriver à la consécration de son Alliance qui allait avoir lieu au Sinaï. Ce symbole, nous l’avons gardé intégralement, puisque nous continuons à compter l’« Omer », depuis le soir de Pessa’h jusqu’à Chavouoth. 

Souvenir de la Délivrance d’Egypte, image du Printemps, du printemps palestinien surtout, symbole d’une union plus étroite avec Dieu, Pessa’h est une fête multiple et belle, aussi belle et multiple que notre histoire et notre foi.

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QUELQUES MOTS sur la HAGADA

La Hagada, dont la rédaction s’étale sur une durée de 15 siècles, présente néanmoins une unité de fond et d’idées. Le premier chapitre contient en résumé les idées qui seront développées dans la suite de la Hagada et qui trouveront leur expression la plus simple et la plus belle dans l’histoire allégorique « Had Gadya » , récit  qui clôt la cérémonie de la soirée.

Voici le pain de misère que mangèrent nos ancêtres en Egypte. 

Exhortation aux persécutés de l’Exil. Des calamités du passé, ils tireront la foi en l’avenir. La sortie d’Egypte signifie le triomphe de la justice divine dans l’histoire. Elle nous inspire le courage d’endurer, d’espérer et d’attendre.

Que celui qui a faim vienne manger.

Cette invitation que nous adressons à tous ceux qui ont faim (et qui jadis fut effectivement adressée aux passants la veille de Pâques) constitue un facteur essentiel de la vie juive qui s’inspire de la sortie d’Egypte et tend vers la réalisation contenue dans la formule « l’année prochaine nous serons libres ». Cette vie doit être active, elle le deviendra par la pratique du bien. Solidarité avec tous les êtres, sentie dans le malheur et renouvelée dans la joie. Que celui qui a faim vienne manger …. n’entendons-nous pas là palpiter l’âme juive  travers les siècles ? Solidarité et charité, qualités éminentes de notre peuple. 

Had Gadya ferme le cercle de l’histoire juive et de l’histoire universelle à la fois. 

Le Saint Béni soit-il viendra enfin vaincre l’Ange de la mort.

La Hagada s’achève ainsi par un chant messianique.  Le jour viendra où le mal sera intégré dans le bien. La lumière resplendissante de la vérité chassera alors les ténèbres dont est envahi le monde. 

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Le Pessa’h d’Egypte est donc une préfiguration du Grand Pessa’ qui inaugurera la délivrance de l’humanité entière lorsqu’elle aura compris le sens et la portée de la sortie d’Egypte. 

Les quatre questions que l’enfant pose à son père constitue le noyau de la Hagada. Leur institution est de date très ancienne (elle figure déjà dans la Michna). Toutes les questions se résument à une seule. 

Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?

La réponse à cette question se trouve dans le passage qui commence par les termes : « Nous étions esclaves ». (La réponse aux 4 questions particulières est indiquée vers la fin de la première partie de la Hagada, le texte s’étant enrichi au cours des âges de développements et de légendes sur le thème de la sortie d’Egypte.)

Nous étions esclaves  

Solidarité historique. Nous étions au Sinaï, nous, et non seulement nos ancêtres. L’expérience de l’esclavage égyptien servira de base à notre vie individuelle et collective. Tu aimeras l’étranger , car tu étais étranger en Egypte. Tu seras juste car tu connais l’horreur de l’iniquité, etc. la soirée de Pessa’h doit être une soirée de recueillement. Nous devons renouer les liens qui nous rattachent à nos ancêtres au-delà des siècles. Dans tous les siècles , chaque (passage illisible ) … comme si lui-même était sorti d’Egypte. 

Aussi la pire des fautes, c’est de se tenir en dehors de la communauté. Le méchant – un des 4 fils dont parle la Hagada – demande : « que signifie cette cérémonie pour vous ? ». Pour vous ! Il s’est donc exclu de la collectivité. Il a de ce fait nié le principe-même du judaïsme, qui veut la réalisation entre les hommes. 

Puisse le pessah 1941 nous inspirer la force de croire et d’espérer. 

O. Wallach

Ecole Libre d’Etudes Juives. 

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