Association Montpelliéraine pour un Judaïsme Humaniste et Laïque

L’Amjhl est attachée aux principes humanistes de la Déclaration des Droits de l’Homme et aux valeurs républicaines, à une conception de la citoyenneté fondée sur le respect de la personne humaine, la participation à la vie de la cité, la tolérance et le pluralisme. Nous nous référons à la laïcité constitutionnelle française qui garantit l’indépendance des institutions par rapport aux pouvoirs religieux – à commencer par l’école. Pour nous, le judaïsme est une culture – porteuse d’une histoire, de valeurs et de diversité – dont la religion a été le ciment pendant des siècles. L’ Amjhl est ouverte à toute personne, juive ou non, qui adhère à cette brève présentation et à ses statuts.



« Portrait d’un juif » d’ Albert Memmi – lu par Jacques Seror

Après Le portrait du colonisé et du colonisateur, écrit en 1956, A. Memmi publie en 1962 Portrait d’un juif.

A la fois sociologue et anthropologue, il étudie le groupe particulier « Juif » à travers sa propre vie, son cheminement personnel. Il est ainsi à la fois sujet et objet de l’étude.

Il existe une « condition juive », un peuple juif avec une communauté de destin, de passé et d’avenir, quelque soit l’espace géographique, historique ou politique.

« Lisant les mémoires de Haïm Weizmann, premier président de l’Etat d’Israël, j’ai été frappé par la similitude de nos expériences. Ce qui m’a confirmé qu’il existe bel et bien une condition juive, puisqu’elle est commune au russe et au tunisien. [ ….]. Restent la date et la fierté des juifs occidentaux d’avoir bénéficié de l’immense et décisif progrès européen. » ( p. 234)

Avec les Lumières et la promotion des valeurs de tolérance, d’égalité, de la connaissance, de la lutte contre les superstitions et la tyrannie.

« Il y a en nous quelque chose d’atavique qui est constamment en alerte » Arthur Koestler

Cet atavisme, conséquence de siècles de peur et d’alertes continues, n’étant en aucun cas génétique ou une marque de la nature juive, peut se défaire avec le temps aussitôt que changent les conditions de vie. (instabilité géographique, politique, institutionnelle, historique). Albert Memmi continue à vivre dans cette insécurité.

Albert Memmi ne peut vivre complètement serein en France ou en Tunisie où on lui avait donné des gages de sécurité.

  • S’il existe entre la condition du Juif et celle du Colonisé des similitudes d’oppression, de comportement et de relations entre eux et vis-à-vis de l’oppresseur : similitude de la relation dominé/dominant ;
  • remarquons aussi,  dit-il, que  s’il y a bien des similitudes, il existe des différences entre les oppressions, et on ne peut parler d’oppression en général.  Chacune est particulière.

Similitudes

La situation du Juif comme celle du colonisé, ou de toute autre situation d’oppressioncomme celle des femmesest une réalité profonde et institutionnelle.

Il existe des non-juifs sincères, viscéralement contre l’antisémitisme et le racisme, comme il existe des anticolonialistes sincères. Mais ceux-ci peuvent-ils changer la nature des choses, voire changer la société ?

Si dans certains milieux intellectuels, entre gens de bonne volonté, on peut oublier la condition de colonisé ou/et de juif, un rien peut tout faire basculer, une maladresse de langage, une conduite plus ou moins volontaire.

Le non-juif, anticolonialiste ou n’importe quel être de bonne volonté ne peut que désapprouver tous ces types d’oppression, mais il ne peut s’empêcher de profiter des privilèges que lui offre ce type de société.

Similitude aussi dans le comportement. Le Juif, le Colonisé, la Femme, peuvent s’accommoder de leur condition dans un ghetto, dans un environnement bourgeois, cultivé, riche à condition d’être invisible, « transparent » : d’accepter la place que la société leur a assigné.

Différences

La séparation imposée, vécue dans le groupe social où vit le juif.

 » Israël, depuis le jour de la promesse n’a jamais cessé de poser une question aux peuples. Il vit parmi eux comme un étranger » (p. 57)

Question du sens :  « […] que signifie être juif ? Pourquoi existe-t-il ? Telle est la quête d’Albert Memmi.

Question posée par L. Pasternak (p. 58).

« toute ma vie s’en est trouvée gauchie, déformée par ce vain effort (d’y répondre). Je dis en bref que je suis un problème, que dans notre société le Juif est nécessairement posé en être problématique. Problème pour les autres, comment n’aurais-je pas été problème pour moi-même? »

Cette séparation, cette mise à part de la société, il l’a ressentie toute sa vie.

  • Tout jeune, il l’exprime dans La statue de sel. Puis séparé de sa famille dont il voulait se libérer du fait des contraintes imposées par le milieu, la religion, les traditions. Séparation encore, quand il entre au lycée français, et en France à la Sorbonne.
  • C’est en venant en Europe, où les groupes n’étaient pas séparés en communautés repliées sur elles-mêmes, mais se confrontaient, qu’il a senti sa différence, le rejet dont il pouvait être l’objet, l’antisémitisme. C’est là qu’il découvre « la coloration et la dimension particulière du Juif. »
  • C’est à la Libération de son pays natal, la Tunisie. Libération  où il s’était engagé avec l’espérance d’une véritable libération, qu’il s’est retrouvé non reconnu comme un enfant du pays du fait de  sa condition de juif.
  • C’est à la Libération de son pays natal, la Tunisie. Libération  où il s’était engagé avec l’espérance d’une véritable libération, qu’il s’est retrouvé non reconnu comme un enfant du pays du fait de  sa condition de juif.
  • Ce fut aussi le cas dans son engagement dans la Résistance, où on lui a demandé de changer de nom -et donc d’identité- parce que « Memmi » était trop voyant.

Plus on avance dans l’itinéraire de la vie d’un Juif et plus la liaison se fait entre la séparation et les différences entre juif et non-juif.

Le Juif est un être complexe qui est difficile à comprendre. Il est un problème pour les autres mais surtout pour lui-même. Toute société se voulant homogène, le juif, comme tous les opprimés, a tendance à se masquer, et accepter les valeurs de son oppresseur.

Albert Memmi refuse de nier sa différence. Différence qui amène plus de positivité que de négativité dans la société. Comme tous les opprimés il doit refuser les règles qu’on lui impose. Il doit récuser le tribunal, comme le font tous les révolutionnaires. Le Juif n’existe pas seulement par rapport au regard des autres, il est aussi histoire et tradition, institution et coutumes. C’est tout cela qui constitue sa judéité.

Pour écrire ce livre, Portrait d’un juif, dit-il :

« il fallait en somme avoir vécu complètement sa judéité et à la fois ne plus la craindre, ne plus la vivre comme une ankylose intérieure » . »ce n’est pas une coïncidence si l’on entrevoit aujourd’hui la libération du juif ». (Page 17)

Comme pour toutes les oppressions,

« Si la libération commence par la libération intérieure, les prémices de la libération intérieure annoncent la fin de l’oppression sociale. »

La condition d’opprimé, pour une personne, peut ressembler à  aux  « poupées russes »- des formes d’oppression –  qui s’emboitent. La condition du colonisé, du prolétaire, du juif, de la femmes sont autant de condition d’opprimés avec chacune ses particularités.

« La condition juive était également une condition d’oppression ; tout comme la condition coloniale, celle du prolétaire ou de celui de la femme…. Du coup cet autoportrait déjà aussi important que possible pour moi, est en outre devenu le fragment d’un ensemble. »

Chaque oppression étant différente, parler d’oppression en général serait flou et inefficace.

« c’est en parlant de ma condition de colonisé, puis de ma condition de juif que j’ai retrouvé la signification des autres conditions d’oppressions. »

Pour clarifier ce qui se rapporte à la condition juive, il se donne des définitions

Judaïsme : l’ensemble des doctrines et des institutions juives, fixées ou non, orales ou écrites; culture juive – religion, philosophie, art, traditions, croyances.

Judaïcité : l’ensemble des personnes juives, totalité des juif à travers le monde; ou un groupement juif géographiquement localisé (ex: judaïcité de New-York)

Judéité : le fait d’être juif ; l’ensemble des caractéristiques sociologiques, psychologique, biologiques qui font un juif.           

Albert Memmi, après « le colonisé », « le colonisateur », « le juif », il entreprend en 1966 La libération du juif..

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